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En dehors de toute commande, et comme l'incarnation d'un
souvenir chéri, nombre d'artistes ont fixé sur la toile les moments privilégiés
de leur existence. Si, souvent, les peintres ont donné à ce souvenir la forme
d'un portrait, ou s' ils ont installé au premier plan de leur tableau la
silhouette d'un de leurs proches, ils ont aussi pu, à l'occasion, conserver
la vision d'un paysage où les personnages n'ont qu'un rôle mineur. Lorsque
Jean-François Millet, à la veille de sa mort, peint l'église du village de
son enfance avec, au premier plan, la silhouette anonyme d'un paysan normand,
c'est toute l'époque lointaine des rires et de l'insouciance qu'il tente
de retrouver sous un ciel cependant menaçant. Par contre, lorsque Claude
Monet peint vers 1873, le panneau décoratif qu'il intitule le Déjeuner, c'est
sa vie présente qu'il souhaite saisir à grand renfort de lumière et de soleil.
Après les nombreux tracas qui l'ont assailli, le séjour estival à Argenteuil,
où il s'est installé avec sa compagne Camille et leur fils, est un moment
paisible, et tout dans son tableau est là pour dire l'élection particulière
de l'instant présent. La composition limpide qui mène le regard jusqu'au seuil
de la maison, l'environnement végétal luxuriant ou la nature morte au premier
plan, la touche vibrante et les couleurs claires expriment à l'unisson combien
le souvenir de cet après-midi est précieux. |
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