Maison des Musées de France(MMF) : Pourriez-vous expliquer au public japonais quel est l' intérêt de David, qui n' est pas un peintre très connu au Japon, dans l' histoire de l' art français ?

M. Sainte Fare Garnont (SFG) : Il y a au 18ème siècle trois peintres qui sont représentatifs de la peinture de cette période, Watteau, Boucher et Fragonard. Ce qui les caractérise, c' est le sens du décoratif, c' est l' exercice de la peinture pour elle seule, Montrer que la peinture est quelque chose de beau, c' est la seule raison d' être de cette tendance de fond.
Et puis il y a à la fin du 18ème siècle toute une série d' évènements, qui commencent par des découvertes archéologiques, on trouve en Italie les ruines de Pompei et d' Herculanum. Il y a également un philosophe allemand, Winckelmann, qui met en avant le retour de l' iconographie, donc de l' importance du sujet qu' on raconte. A la même période, il y a une seconde tendance qui se dégage, c' est qu' on ne doit pas faire des sujets sentimentaux, mais des sujets de moralité. C' est toute cette idée qui apparaît à la fin du 18ème siècle et qui attend d' avoir un grand interprète pour revenir au premier plan. Cet interprète, vous l' avez compris, c' est David.
David est un peintre intéressant parce qu' il est issu de cette période Boucher, avec une peinture décorative, des sujets sentimentaux. Et puis petit à petit, il va changer son style, il va changer le choix de ses sujets et il va passer à la réalisation de ces grands tableaux, qu' on dit « d' histoire ». Le premier tableau qui montre cette histoire, c' est le « Bélisaire » et ensuite « Le Serment des Horaces ».

Jusqu' au 31 janvier 2006 au Musée Jacquemart-André.
http://www.musee-jacquemart-andre.com/jandre/actualite/
fr_actualite_1.htm
158, boulevard Haussmann 75008 Paris
Bélisaire demandant l'aumône
© Photo:RMN / Daniel Arnaudet / distributed by DNPAC
Si à l' époque de Boucher et Fragonard, on était dans l' opéra, avec David on s' approche de la tragédie. On est toujours sur le théâtre, mais on change de genre, David l' a dit lui-même, ce qui l' a impressionné le plus, c' est le théâtre de Corneille, et le théâtre de Corneille, c' est toute l' idée que pour créer l' émotion du spectateur, il faut opposer des sentiments contradictoires.
D' un côté, vous avez la mère de famille qui voit son fils partir à la guerre, de l' autre côté, il y a le père qui dit à son fils : tu dois partir à la guerre. Quels sont les sentiments contradictoires ? Le père dit l' intérêt public : tu vas défendre la patrie, et la mère dit l' intérêt familial : je défends mon sang. Et c' est dans cet ajustement de deux plans que le drame de David se joue. Son intelligence c' est d' avoir toujours fait cohabiter les deux plans de l' histoire. Tous les tableaux qu' il réalise ensuite sont des tableaux que vous pouvez lire sur ce mode-là. Non seulement les tableaux qu' il réalise jusqu' en 1789 où il utilise les thèmes de l' antiquité, comme ses contemporains, mais sous la Révolution, il va utiliser des thèmes contemporains, c' est l' histoire qui se déroule au jour le jour, il va la traiter de la même façon. Et après sous l' Empire, avec Napoléon, encore de la même façon. Vous pouvez toujours être saisi, quand vous êtes devant ces tableaux, entre ces oppositions très brutales.
MMF : Il est le premier peintre qui a traité de sujets contemporains ?

SFG : C' est un peu vrai, mais il n' est pas le seul, et quand il traite l' actualité, il prend soin de l' élever au niveau de l' universel. Il sait très bien que si l' on veut que la leçon subsiste, il faut la sortir du contingent, à partir de là, même quand il traite des sujets contemporains, il cherche toujours à leur donner une valeur universelle. Regardez « Le serment des Horaces », c' est un sujet romain, de l' antiquité, que David traite avant la Révolution, il va faire le même tableau dix ans plus tard avec « Le serment du Jeu de Paume », c' est les députés de l' Assemblée qui vont prêter leur serment, et la composition, d' une certaine façon, reprend la même idée. Donc on voit bien que de l' Antique au contemporain, chez David, il n' y a pas fondamentalement de différence. La chose importante, c' est le serment de fidélité, c' est que l' homme soit loyal vis-à-vis de ses idées et vis-à-vis de ses engagements.
Le serment des Horaces
© Photo: LILLE / distributed by RMN / distributed by DNPAC
MMF : J' ai été frappée par le nombre de dessin qu' il a fait à Rome. Aujourd' hui, on a l' idée de l' artiste romantique qui a l' inspiration d' un seul coup.

SFG : David, c' est à la fois le contraire du génie à l' état pur, et c' est aussi le contraire de l' artiste inspiré, comme on imagine les artistes de la période romantique. David, c' est un travailleur.
C' est vrai qu' il a fait plusieurs milliers de dessins pendant la période romaine, mais savez-vous combien de tableaux il a peints au cours de sa carrière, sachant qu' il est mort à 78 ans ? Cent trente tableaux, c' est tout ! En d' autres termes, pour chaque tableau, on peut dire qu' il a fait plusieurs centaines d' esquisses, et c' est la preuve du travail acharné qu' il a réalisé pour avoir vraiment la formulation la plus achevée. Ça, c' est l' image vraie de David aussi, c' est quelqu' un qui va au bout de l' étude pour être sûr qu' il ne s' est pas trompé dans le moindre des détails.
MMF : Le fait qu' il a traité les sujets de la révolution fait de lui un peintre spécial pour les Français puisque la France reste une république aujourd' hui.

SFG : Je ne suis pas persuadé que cette idée-là soit retenue aujourd' hui par les Français. Il y a quinze ans, nous avons fêté le Bicentenaire de la Révolution française. Et comment avons-nous fêté le Bicentenaire de la Révolution ? Avec une formidable tarte à la crème chantilly organisée par un grand chorégraphe qui a fait descendre les Champs-Elysées à toute une série de gens déguisés. Personne n' a osé dire : il faut reprendre les débats du centenaire de la Révolution, organisés par des personnalités de tendances politiques très différentes. Il y avait les Républicains et les Radicaux qui disaient : nous sommes obligés de prendre la Révolution comme un bloc. Ça veut dire mettre dans ce bloc la période Robespierre, la dictature et les assassinats de tous les gens qui étaient des opposants politiques. Et de l' autre côté, il y avait des gens qui disaient : on ne peut pas accepter la Révolution parce que c' est une forme de régime politique qui s' est nourri du sang de ceux qu' elle a assassinés, on ne peut pas accepter le terrorisme instauré en tant que régime de gouvernement. C' était un vrai débat politique. Ce vrai débat n' a pas eu lieu il y a quinze ans quand on a fêté le bicentenaire de la Révolution. De ce point de vue-là, David est passé à la trappe, parce qu' on ne pouvait pas le ressortir, lui qui représentait le mauvais exemple. David a été peintre, il a aussi été homme politique, c' était un proche de Robespierre, il a été Président de la Convention, il a eu un rôle très important pendant toute cette période. Je regrette qu' on n' ose pas aborder cette période d' un point de vue politique. En tant que conservateur de musée, je dois montrer des tableaux, et je voulais montrer l' interprétation moderne qu' on peut apporter aux oeuvres.
Bonaparte, Premier consul, franchissant le Grand Saint-Bernard
© Photo: RMN / Gérard Blot / distributed by DNPAC
MMF : Est-ce que vous auriez un message pour le public japonais qui viendra voir cette exposition ?

SFG : Naturellement, je souhaite vivement que le public japonais vienne visiter le musée Jacquemart-André. Je peux vous préciser que nous avons un système d' audio-guide pour la visite du musée, où la langue japonaise, bien entendu, n' est pas oubliée. Comme ça vos compatriotes peuvent venir nombreux et profiter de la visite la plus complète possible. On est tout à fait attentifs à ce que les populations du Japon et de tout l' Extrême-Orient puissent venir visiter le musée Jacquemart-André.

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