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▲Monsieur
Philippe Saunier, conservateur du musée
de l'Orangerie
©Hiroshi Takahashi |
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Maison
des Musées de France(MMF) : Comment êtes
vous parvenu à retrouver l'état originel
du musée, ce qui était le premier but du
réaménagement de l'Orangerie ?
Monsieur Philippe Saunier(P.S.): Il fallait retrouver
la disposition originale de Monet, parce que l'œuvre
que nous avons ici, ce n'est pas seulement des tableaux,
c'est un plan, c'est une installation pensée par
Monet, |
voulue par Monet, dessinée par
lui avec l'aide d'un architecte.Donc ce que nous avons
fait, ce n'est jamais que refaire ce qu'il y avait déjà
en 1927, et qui avait été supprimé
dans les années 60, mais en le modernisant quand
même un peu. C'est-à-dire que le vestibule,
la première salle dans laquelle on entre, qui est
une salle ovale, a été simplifié,
modernisé, et est plus simple que ce qu'on en connaît
par les photographies de l'époque, mais cela n'est
jamais que refaire l'état de 1927. Quand je dis
« refaire l'état de 1927 », cela peut
paraître modeste, mais en même temps c'est
rendre justice à Monet, dans la mesure où
cela participe de son œuvre, et était voulu
par lui. |
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MMF
: Dans ce projet, quel point vous paraît le plus
important ?
P.S. : C'est la lumière, la lumière c'est
l'élément primordial, c'est l'élément
avec lequel Monet a travaillé en réalisant
ces Nymphéas, et c'est la lumière qu'il
fallait faire revenir, rentrer dans le musée. C'est
là-dessus que tous les efforts se sont concentrés.
Et l'équipe a été retenue tout simplement
parce qu'elle proposait de revenir à l'état
voulu par Monet, |
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▲Salle
des Nymphéas
©Photo Jean-Christophe Ballot/ EMOC.
Musée de l'Orangerie |
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c'est-à-dire de supprimer la dalle
en béton qui coupait le bâtiment en deux,
et donc de créer cette espèce d'abat-jour
qui permet de diffuser la lumière, et de la tamiser
grâce à un velum, comme c'était voulu
par Monet. |
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▲Eclairage
naturel à travers la verrière
©Didier Plowy MCC. |
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MMF
: Pourriez-vous nous expliquer de quelle manière
la lumière entre dans les salles?
P.S. : L'éclairage naturel est par nature changeant,
et il n'y a pas un état lumineux mieux qu'un autre.
C'est-à-dire que le matin, vous aurez une lumière
différente de la lumière du soir, et que
quand il y a beaucoup de soleil vous aurez une lumière
plus importante. |
A travers une verrière, on peut
donc sentir les heures passer et percevoir les changements
du climat, mais pour le soir, quand le jour tombe, on
a gardé la possibilité d'utiliser un éclairage
artificiel qui prenne le relais, parce qu'évidemment,
il n'était pas envisageable qu'à cinq heures
en hiver, les visiteurs soient plongés dans le
noir. D'autre part, il y a un taux d'éclairement
qu'il n'est pas possible de dépasser pour la conservation
des œuvres et nous avons donc également prévu
un système d'occultation pour que la verrière
laisse entrer moins de lumière les jours de très
beau temps. |
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MMF
: Comme pour la réouverture du musée de
l'Orangerie, l'inauguration à l'époque de
Monet s'est faite avec du retard, est-ce pour les mêmes
raisons ?
P.S. : Non, comme vous le savez, c'est la découverte
de vestiges archéologiques que l'on a decidé
de conserver qui a retardé la réouverture
de l'Orangerie. Par contre, entre 1918, date à
laquelle Monet dit vouloir donner des tableaux à
l'Etat, et 1927, il s'est passé dix ans et ce retard
est dû essentiellement à Monet lui-même,
qui reprenait inlassablement ses tableaux, n'était
jamais satisfait. |
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▲Vestige
du mur d'enceinte Charles IX
©Photo Jean-Christophe Ballot/ EMOC.
Musée de l'Orangerie |
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Clémenceau, à l'époque,
aurait même dit à Monet: « vous voulez
faire des sur-chef d'œuvres, mieux que des chefs
d'œuvres ». |
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MMF : À
l'époque de son ouverture, le musée de l'Orangerie
n'a pas remporté du tout de succès. Et puis,
les Nymphéas sont devenus très populaires
pendant les années 50. Comment expliquez-vous ce
changement dans la réaction du public ?
P.S. : Vous posez la question de l'histoire du goût,
qui fait qu'en 1927, pour beaucoup de Parisiens, ce décor
était une sorte de témoignage d'un impressionnisme
tardif, quelque chose peut-être d'un peu dépassé,
et que les yeux du public se portaient alors vers une
autre génération d'artistes. Trente ans
plus tard, le public y voyait tout autre chose, il en
voyait toute la modernité, il avait une autre appréhension
de ce décor. C'est difficile à expliquer,
ces revirements. Ce qui est certain, c'est qu'on a maintenant
un œil beaucoup plus averti de beaucoup de choses,
on a découvert l'art moderne, on a découvert
l'abstraction, on a découvert l'expressionnisme.
Et c'est évidemment beaucoup plus facile pour nous
de comprendre, de saisir ce décor, qui était
assez déroutant pour un visiteur de 1927. En tous
cas, je ne vois pas maintenant l'affection pour les Nymphéas
décliner, je pense qu'elle ne peut que se confirmer. |
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MMF : Les travaux
réalisés dans les années 60 pour
accueillir la collection Walter-Guillaume avaient dénaturé
l'espace conçu par Monet . Il n'y a pas eu de contestation
à l'époque ?
P.S. : Est-ce que les gens se sont émus qu'on crée
un étage pour ces collections ? Je ne le pense
pas. D'une certaine manière, nécessité
faisait loi, c'est-à-dire que l'Etat ayant pris
la décision de présenter la collection Walter-Guillaume
à l'Orangerie, il fallait trouver de la place.
C'était difficile d'en trouver autrement qu'en
créant un étage. Et on a voulu à
l'époque faire un éclairage artificiel qui
soit aussi proche que possible de l'éclairage naturel,
mais avec les moyens de l'époque, donc on a trouvé
une solution qui était celle de 1960, et qui quarante
ans plus tard montrait ses limites. |
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▲Vue
du chantier (février 2005)
©Photo Jean-Christophe Ballot/ EMOC.
Musée de l'Orangerie |
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MMF
: Ce sont les progrés technologiques qui ont permi
de réhabiliter l'Orangerie ?
P.S. : Oui, il a fallu par exemple avoir une double verrière
avec des filtres anti-UVpour empêcher le soleil
de trop rentrer, et éviter des températures
trop importantes dans le bâtiment. Il a aussi fallu
creuser sous le jardin des Tuileries ; je crois qu'on
aurait su le faire dans les années 60, mais je
pense, qu'en revanche, on n'était pas prêt
à investir le sous-sol pour gagner des espaces. |
Je crois donc que ce sont surtout les
mentalités qui ont évolué. Le public
venant surtout à l'Orangerie pour admirer les Nymphéas,
il devenait légitime de bien dissocier les deux,
quelque soit la compléxité des travaux à
réaliser. |
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MMF
: Comment reliez-vous les Nymphéas et la collection
Walter-Guillaume, qui n'ont pas forcément de rapports,
mais qui sont dans le même musée ?
P.S. : C'est vrai qu'il n'y a pas vraiment de lien entre
les deux, ce sont deux ensembles qui cohabitent. Néanmoins,
le directeur de l'Orangerie, Pierre Georgel, a souhaité
installer, entre ces deux ensembles, un grand tableau
de Derain qui est là pour faire un peu transition.
C'est un tableau de grand format, en dépôt
du Centre Pompidou, qui fait donc le lien entre une peinture
monumentale- les Nymphéas- et Derain, un artiste
bien représenté dans la collection Walter-Guillaume. |
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▲Vers
les Nymphéas et la Collection Walter-Guillaume
©Hiroshi Takahashi |
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▲Galerie
d'exposition de la collection Walter-Guillaume
©Photo Jean-Christophe Ballot/ EMOC.
Musée de l'Orangerie |
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▲Salle
des Nymphéas
©Didier Plowy MCC. |
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MMF
: Peut-on dire que le projet des Nymphéas anticipe
l'idée de ce qu'on appelle «installation
» dans le milieu de l'art contemporain ?
P.S. : A cette époque, en France, on orne beaucoup
d'édifices publics de peintures monumentales, de
grandes peintures murales. Il est certain que Monet avait
l'ambition de renouer avec la peinture murale telle qu'elle
pouvait être pratiquée par Puvis de Chavannes,
c'est-à-dire d'asseoir sa peinture dans quelque
chose qui est peut-être plus éternel et plus
accessible au public. |
C'est évidemment moderne, parce
qu'il n'y a pas en France d'équivalent. Le décor
a été pensé pour environner le spectateur
comme dans un panorama, et le faire participer à
l'expérience de ce qu'il voit, l'immerger dans
la peinture. C'est effectivement un dispositif que les
artistes contemporains ont développé. De
ce point de vue, Monet est en avance sur son temps. Ce
n'est pas seulement les Nymphéas, ce n'est pas
seulement l'aboutissement de l'impressionnisme, c'est
le dépassement, c'est l'immersion dans la peinture.
Et Monet lui-même s'immerge dans sa peinture, c'est-à-dire
qu'il choisit des formats immenses, et dans sa manière
de peindre, il imprime sa gestuelle. |
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MMF
: On a l'impression que le vestibule conçu par
Monet permet de se préparer psychologiquement avant
d'entrer dans les salles des Nymphéas. Comment
expliquez-vous cela?
P.S. : Je suis très sensible au fait que dans les
années 1880-1890, se développe un courant
de pensée qui consiste à dire que la religion
décline, que le sentiment religieux s'efface inexorablement, |
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▲Salle
des Nymphéas
©Didier Plowy MCC. |
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et que c'est à l'art de prendre
le relais, que l'expérience esthétique,
l'expérience artistique est ce qui permet de recréer
un lien entre les hommes. Je crois que dans cette installation,
le vestibule joue le rôle d'une entrée, comme
dans un temple, dans lequel le visiteur va se dépouiller,
va se préparer à la visite. Et effectivement
la contemplation de ces Nymphéas participe d'une
expérience méditative, qui est presque mystique,
presque religieuse. |
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▲Monsieur
Philippe Saunier dans la Salle des Nymphéas
©Hiroshi Takahashi |
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MMF
: Ça ne vous dérange pas d'employer ces
termes, religieux, méditativeノ ?
P.S. : Non, car il est flagrant de voir à quel
point, à cette époque où les églises
se vident, les musées se remplissent et sont parcourus
par une foule de visiteurs. Je ne dis pas que Monet avait
un sentiment religieux, mais une vision profonde de la
valeur civilisatrice de l'art, |
et en tout cas qu'il pensait que l'expérience
artistique est quelque chose qui se partage, qui est commune
à tous les hommes, et donc que ce décor,
dans un lieu public, permettait de favoriser l'émotion
esthétique du plus grand nombre. |
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MMF : Vous avez
un message pour le public japonais ?
P.S. Ce n'est pas tant à moi de délivrer
un message qu'aux œuvres d'art. Je crois qu'elles
parlent d'elles-mêmes. Venez au musée, venez
découvrir ces tableaux, et venez vous immerger
dans ce décor. Il y a quelque chose de reposant
et de calmant dans la contemplation de ce décor,
dont on ne devrait pas se priver dans notre civilisation
moderne trépidante. |
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Entretien réalisé
par Hiroshi Takahashi le 23 juin 2006 au musée
de l'Orangerie, avec le concours de Asuka Abe. |
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Adresse |
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Jardin des Tuileries 75001 Paris |
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