日本語 Francais
 
  「プロヴァンスのセザンヌ展」コミッショナー  グラネ美術館館長 デニ・クターニュ氏へのインタビュー
   
▲Monsieur Denis Coutagne, conservateur en chef du musée Granet
Photo : Y.Blaise / ©Musée Granet
Maison des Musées de France(MMF): En quoi cette exposition peut-elle être qualifiée d'exceptionnelle ?
Denis Coutagne(DC) : C'est qu'elle n'a jamais eu lieu. Je veux dire que depuis un peu plus d'un siècle que l'on se préoccupe vraiment de Cézanne -puisque cela commence en 1895 avec Vollard(1)-le sujet "Cézanne en Provence", qui est pourtant le sujet majeur qui définit l'Oeuvre de Cézanne,
n'a jamais été exploité. Cela a été comme oublié, puisque lorsque Emile Bernard (2) et Maurice Denis(3), qui sont venus voir Cézanne en Provence, font des comptes rendus et des analyses de l'œuvre de Cézanne à partir de ces visites, ils ne disent rien du fait que Cézanne peint en Provence, sauf pour dire, sur le plan psychologique ou social, que Cézanne est une espèce de "paysan local" à qui les enfants lancent des cailloux et qui s'est retiré sur sa terre natale "parce que l'air de Paris ne lui convient pas"(enfin je caricature un peu...).
Le premier qui écrit un texte mettant en valeur le rapport de Cézanne et la Provence c'est John Rewald(4), dans un article paru en 1936, et qui s'intitule "Cézanne et la Provence" . Dans cet article, il écrit que la ville d'Aix devrait se préoccuper du "plus illustre de ses enfants", à savoir le peintre Paul Cézanne, et faire une exposition sur un tel sujet à l'occasion du centenaire, en 1939, de la naissance de Cézanne. Cette année-là il y aura bien une exposition Cézanne, mais à Lyon, et sur un sujet différent.
▲Cézanne en 1904
Photo : Emile Bernard
Donc le sujet n'est pas complètement neuf mais son exploitation n'a jamais eu lieu. Toutes les grandes expositions d'après-guerre ont concerné la jeunesse de Cézanne, ses dernières années, "le fini et le non-fini", puis il y a eu la rétrospective de 1996 au Grand-Palais. Evidemment on y parlait de la Provence, mais ce qui est analysé ici, et qui est unique dans l'histoire de l'art, c'est ce rapport exceptionnel entre un homme et son pays, ce lien viscéral qui est aussi à l'origine de l'oeuvre universelle de Paul Cézanne.
Car il faut rappeler que nous n'organisons pas une exposition provençalisante présentant de jolies images de Provence réalisée par un peintre provençal. On n'est pas avec Loubon (5), ou Guigou(6), on n'est pas avec les maîtres d'Aix qui ont traité ce sujet-là fin XIXème siècle.
Cézanne a ce génie particulier d'être le peintre peut-être le plus rattaché à sa terre natale, mais qui fait à partir des paysages et personnages (paysans, baigneurs, baigneuses...) qu'il peint une œuvre de référence poussinesque, internationale au plus haut niveau.
▲Atelier des Lauves
Photo : Jean-Claude Carbone
On a déjà fait des choses sur Cézanne ici à Aix (une exposition sur les Sainte-Victoire en 1990, la mise en dépôt de 8 tableaux de Cézanne en 1984), mais c'est cette exposition qui est l'accomplissement de la réhabilitation de Cézanne dans sa ville.
Je rappellerai tout de même qu'en 1956 Léo Marchutz(7)qui a initié Rewald à la peinture de Cézanne, avait fait une exposition commémorant la mort de Cézanne, au pavillon Vendôme, avec à peu près 70 toiles, ce qui était déjà bien.
   
MMF : Que nous apprend l'exposition Cézanne en Provence de cette relation entre Cézanne et sa région ?
DC : Elle permet de mettre le doigt sur une caractéristique essentielle de l'œuvre de Cézanne, pour le comprendre de l'intérieur. Elle concentre la réflexion sur le rapport d'un homme à son pays d'origine et de mort, qu'il a aimé à travers le Jas de Bouffan, les carrières de Bibémus, la Sainte Victoire, l'atelier des Lauves qu'il s'est fait construire au dessus d'Aix, et d'autres lieux proches d'Aix comme Gardanne ou l'Estaque, qui constituent son territoire.
▲Cézanne en 1902
Photo : Gaston Berheim
Voilà donc un peintre un peu étrange qui ne parcourt pas le monde, qui ne cherche pas à faire carrière à Paris, et qui devient le maître de la peinture du XXème siècle à cause de cet enracinement dans un petit coin de France qui s'appelle Aix-en-Provence.
MMF : Quelles œuvres de Cézanne êtes-vous particulièrement heureux d'avoir pu emprunter, pour cette exposition?
DC : Toutes les œuvres de Cézanne sont des trésors. Il y a bien sûr des tableaux qui me touchent plus que d'autres, soit par goût personnel soit parce que je les trouve plus significatifs dans le parcours de ce peintre. Par exemple la Sainte-Victoire de Cleveland (8) qui pour moi est une splendeur absolue, les Grandes baigneuses (9)de Londres qui sont tout à fait étonnantes, la Sainte Victoire de Bâle (10)qui est pour moi une des grandes choses de l'œuvre de Cézanne,
▲Le Mont Sainte-Victoire au-dessus de la route du Tholonet(c.1904)
Huile sur toile, 73.3x92.1cm
The Cleveland Museum of Art, Legs de Leonard C. Hanna Jr.,1958.21
©The Cleveland Museum of Art
▲Les Grandes baigneuses(c.1890)
Huile sur toile, 127.2x196.1cm
The National Gallery, London
©2005 The National Gallery, London
le Portrait du père en train de lire L'Evénement (11)qui est une oeuvre de jeunesse dans laquelle on voit que Cézanne est génial dans tous les moments de sa vie selon des registres différents, et un arbre (12)qui viendra du musée de l'Ermitage et que l'on pourrait appeler une Icône du paysage ; voilà quelques œuvres que je vous livre comme cela...
   
MMF : Quel est pour vous l'importance du partenariat avec la National Gallery of Art de Washington ?
DC : C'est très important, car le musée Granet est au départ un petit musée de Province, et on aurait pu craindre avec cette exposition Cézanne en Provence qu'on ramène uniquement Cézanne à une dimension régionaliste, mais par ce jumelage avec la National Gallery of Art de Washington,
▲Ville d'Aix-en-Provence
Photo : Jean-Claude Carbone
qui s'est noué en 1999-2000 (grâce à la confiance de Philip Conisbee, qui y est le conservateur principal pour les peintures européennes, mais aussi de Françoise Cachin, directeur honoraire des musées de France et de Henri Loyrette qui était alors directeur du musée d'Orsay) nous confirmons le fait que Cézanne est un peintre absolument international. Philip Conisbee qui adore la Provence est, quant-à lui, très sensible au fait que ce centenaire se fasse avec les sites cézanniens, au pays de Paul Cézanne.
▲Façade du Musée Granet, vers 1998
Photo : F. Prémartin / ©Musée Granet
MMF : Pourriez-vous nous dire quelques mots sur l'après Cézanne 2006, au musée Granet?
DC : Pour présenter cette grande exposition Cézanne nous avons occulté cette année toutes les peintures françaises du musée Granet, et fin 2006, nous réinstallerons donc nos collections permanentes qui sont exceptionnelles pour ce qui est du XVIIème et du XVIIIème siècles français,
du peintre Granet(14) qui va avoir une salle avec environ 70 tableaux, du néo-classicisme autour du tableau d'Ingres Jupiter et Thétis, et des grands tableaux de l'Ecole provençale du XIXème siècle. Et puis nous allons recevoir une collection exceptionnelle, "de Cézanne a Giacometti", d'un donateur qui veut garder l'anonymat, avec 70 oeuvres dont 20 Giacometti(15) et deux peintures de Cézanne. Ces œuvres s'ajouteront aux 10 toiles de Cézanne qui seront présentées dans la salle Cézanne, avec des dessins et aquarelles du maître, que nous exposerons par intermittence.
MMF : Permettez-moi enfin de vous poser une question plus personnelle : qu'est-ce qui vous a amené à devenir un grand spécialiste de Cézanne ?
DC : Quand j'étais étudiant, je me suis d'abord intéressé à la philosophie, me posant des questions sur le sens des choses, de la vie, de l'art, et mon travail universitaire s'est porté sur l'enjeu de la peinture quand on passe de la figuration à l'abstraction, c'est à dire quand on passe de Cézanne aux peintres Malévitch, Mondrian et Kandinsky. Avec en arrière fond un enjeu de représentation et de spiritualité.
▲Salles des sculptures au rez- de-chaussée de l'aile Bourguignon de Fabregoules, 2002
Photo : F. Prémartin / ©Musée Granet
Ce travail, je l'ai repris sous forme d'un livre de 600 pages, qui vient de paraître chez Acte Sud, sous le titre "Cézanne en vérité".
Il se trouve aussi que ma famille est originaire d'Aix en Provence où elle a une propriété depuis le XIXème siècle. Les paysages d'Aix me sont donc familiers depuis l'enfance et j'ai toujours voulu, ayant réussi le concours de conservateur de musée, avoir le poste d'Aix en Provence avec évidemment une référence cézannienne qui apparaissait à l'horizon. Quand je suis arrivé ici il y a 25 ans, je ne savais pas que cela prendrait une dimension aussi exceptionnelle, mais j'ai aussi appris à mieux connaître Cézanne en vivant toutes ces années entouré des paysages cézanniens.
En bref, "Cézanne en Provence" n'est pas simplement une exposition de passage pour moi. C'est un enjeu de vie et de réflexion à travers la peinture.
  (1) Ambroise Vollard (1868-1939)
(2) Emile Bernard (1868-1941)
(3) Maurice Denis (1870-1943)
(4) John Rewald (1912-1994)
(5) Emile Loubon (1809-1863)
(6) Paul Guigou (1834-1871)
(7) Léo Marchutz (1903-1976)
(8) Le Mont Sainte-Victoire au-dessus la route du Thonolet, 1904, The Cleveland Museum of Art
(9) Grandes baigneuses, 1894-1905, National Gallery, Londres
(10) Le Mont Sainte Victoire vue des Lauves, 1904-1906, Kuntsmuseum, Basel
(11) Portrait du père en train de lire L'Evénement, 1866, National Gallery of Art, Washington
(12) Grand pin et terre rouge, 1890-1895, Musée de l'Ermitage, Saint-Petersbourg
(13) Exposition l'Ecole provençale, du 3 juin au 2 octobre 2006
(14) François Marius Granet (1775-1849)
(15) Alberto Giacometti (1901-1966)
 
 
  Entretien téléphonique réalisé par Benjamin Nouvel le 14 avril 2006.
 
 
©Musée Granet
Musee GranetCEZANNE EN PROVENCE
Durée de l'exposition
  2006.6.9-2006.9.17
Adresse
  Palace Saint Jean de Malte-F-13100 Aix-en Provence

*情報はMMMwebサイト更新時のものです。予告なく変更となる場合がございます。詳細は観光局ホームページ等でご確認いただくか、MMMにご来館の上おたずねください。