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Q : Y a-t-il
un concept particulier à connaître pour mieux comprendre
l'art égyptien ?
A
: Tout à fait. Il y a une grammaire de l'art égyptien
; de même que les idéogrammes sont des images des
paysages, de la population, de la faune, de la flore, les représentations
même en trois dimensions comme les statues font partie
d'un système graphique, d'un discours, qui doit mettre
le monde et l'homme en accord avec ce qui s'appelle la Maat,
qui est un concept fondamental pour la civilisation égyptienne
qui fait que le soleil se lève le matin, se couche le
soir, que la Nil coule dans le bon sens, que la crue arrive,
bref c'est l'harmonie, c'est l'équité, c'est l'absence
de chaos. Tout l'art égyptien tend à faire respecter
ce système d'équilibre. C'est un système
cosmologique qui permet au monde égyptien de survivre,
et il faut bien se dire que toutes les oeuvres d'art égyptiennes,
ce que nous considérons comme de l'art, sont en accord
avec ce système cosmique ; et c'est ça qui est
très beau, ce ne sont pas de simples représentations
des individus mais des images qui permettent à ces individus
d'être en harmonie avec ce système cosmique. La
notion d'art pour l'art n'existe pas, tout art a pour fonction
d'adhérer à la notion de la Maat, et évidemment
de connaître l'éternité. |
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Q : Les bijoux
participent aussi de cette cosmologie ?
A
: Les bijoux ont plus une fonction magique, de protection contre
les mauvaises influences, les mauvais esprits, et aident la
momie à garder son intégrité. La peur des
égyptiens anciens était que le corps disparaisse,
soit attaqué dans la tombe, donc il était entouré
de bandelettes pour la momification, de bijoux et de textes
qui devaient permettre au défunt de préserver
son intégrité physique. |
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Q : Le maquillage
également ?
A :
C'est une bonne question, parce que l'on voit bien sur les représentations
des tombes que les hommes et les femmes étaient très
maquillés, mais on ne sait pas s'ils l'étaient
dans la vie réelle. Le kohol, qui est le maquillage des
yeux, par exemple, n'avait pas qu'une fonction de décoration,
mais servait aussi à protéger contre certaines
infections. Et actuellement encore, les égyptiens continuent
à mettre du kohol sur leurs yeux et ceux des enfants
pour les protéger contre le sable et la secheresse qui
pourraient développer de nombreuses infections. |
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Q : Du point
de vue esthètique, qu'est-ce qui caractérise les
bijoux égyptiens ?
A
: La particularité, c'est qu'ils sont très chargés.
C'est une société qui aimait beaucoup le clinquant,
tout ce qui brille, l'or, les matières précieuses,
tout ce qui est très coloré. Mais ces bijoux n'étaient
pas portés quotidiennement. Ce qui était important
c'était d'être représenté avec ces
bijoux, ces parures, de donner une belle image de soi. Ainsi,
en égyptien ancien le mot pour désigner le sculpteur
signifie "celui qui fait vivre", ce qui montre bien
que la représentation servait à authentifier la
vie, et que les bijoux, les perruques étaient loin d'être
portés dans la vie quotidienne, d'autant plus qu'il fait
très chaud en Egypte. |
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Q : D'où
provient cette riche collection du Musée du Louvre ?
A : Pas de Napoléon Bonaparte,
comme on le croit souvent, parce que l'armée française
a été battue par les Anglais et n'a donc rien
pu rapporter en France, mais des fouilles qui ont été
menées par la France à partir de 1850. Par contre,
même si l' expédition de Napoléon a été
très mal terminé, son travail en Egypte est magnifique
du point de vue de la connaissance qu'on a de l'Egypte au début
du XIXe siècle. La Description de l'Egypte est phénoménale.
C'est un inventaire extraordinaire de l'état de l'Egypte.
Grâce à cela, même si la fameuse pierre de
Rosette se trouve au British Museum, c'est un chercheur français,
Champollion qui a pu déchiffrer les hiéroglyphes,
fondant ainsi l'Egyptologie. |
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Q : Quelle
est votre oeuvre préférée dans cette exposition
?
A : J'aime particulièrement
la statue de Sésostris III (cat.98), d'abord parce qu'elle
est très belle et ensuite parce qu'elle est particulière
en ce sens qu'elle s'éloigne d'un type idéal pour
montrer une personnalité propre avec des traits particuliers,
ainsi les grandes oreilles qui symbolisent que ce pharaon était
à l'écoute de son peuple. Il y a aussi la stèle
de Sakherti (cat.48) où l'on voit deux couples de défunts
avec tous leurs enfants qui leur apportent des offrandes funéraires.
Et également de très belles cuillères à
fard(cat.96,97). Il y a vraiment des merveilles. |
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Q : Cela n'a-t-il
pas été difficile d'organiser le transport et
l'exposition de toutes ces oeuvres ?
A
: Si, puisque concernant l'Egypte, les oeuvres sont soit très
grandes et lourdes, comme les sarcophages, soit très
fragiles comme les papyrus ou les momies. Mais tout s'est très
bien passé, parce que les Japonais sont très professionnels.
Cela a été d'ailleurs plus difficile de retirer
le sarcophage du Musée du Louvre, qui est un ancien palais,
que de l'installer au Musée de Nagoya qui est très
moderne, donc a toutes les commodités nécessaires
à l'installation d'expositions. |
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Q : Pour finir
que conseilleriez-vous comme visite aux Japonais venant au Louvre
?
A : Bien sûr,
les chefs-d'oeuvre qu'ils n'auront pas pu voir au Japon, puisqu'on
ne les prête jamais, comme le Scribe accroupi, et aussi
le relief de Séthi Ier et Hathor. |
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Entretien réalisé au
Louvre par Abe Asuka |
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